On se retrouve aujourd’hui accompagné de François Jégard, Président du cabinet Jégard Créatis pour parler de la data et de ses influences dans la comptabilité. À travers cette interview, il nous partage sa vision sur la data et explique comment son cabinet a su adapter ses pratiques pour rester à la pointe. Il aborde également la culture de la donnée chez ses équipes et évoque les nouvelles perspectives que la facture électronique apporte à la profession comptable.
Avant tout François, est-ce que tu peux te présenter ?
“Je suis François Jégard, expert-comptable et commissaire aux comptes. Je préside le cabinet Jégard Créatis, basé en Île-de-France. Notre équipe, forte de près de 200 professionnels, se mobilise sur des activités de commissariat aux comptes et d’expertise comptable.
Nous accompagnons à la fois les TPE-PME et nous travaillons aussi pour l’Économie Sociale et Solidaire (ESS), c’est-à-dire pour des associations, des fondations, des fonds de dotation. L’ESS représente plus de 40% de notre activité. L’expertise comptable est un métier passionnant, que l’on exerce avec passion chez Jégard Créatis.”
Quel rapport à la data avez-vous dans ton cabinet ?
“La gestion de la data est une pratique ancrée dans notre cabinet depuis sa création en 1960. Simplement, avec l’émergence du digital, ça prend une tout autre dimension. Ce qui change considérablement, c’est que les moyens d’investigation et de traitement des données sont décuplés. On parle maintenant de comptabilité en direct. Pour rendre cela possible, on travaille sur l’automatisation des flux de données, permettant ainsi la création de tableaux de bord dynamiques pour l’exploitation optimale de ces informations. Bien que cette approche demeure encore peu répandue au sein des TPE-PME, nous avons un rôle majeur à jouer en tant qu’expert-comptable pour démocratiser ces services.
La digitalisation et l’exploitation de ces données constituent la première étape. Notre mission ensuite, est de prendre du recul et de guider nos clients dans cette démarche. À mesure que nous réduisons le temps consacré à la production des données, nous augmentons les possibilités d’analyse et de conseil stratégique. C’est pour cela qu’au sein de notre cabinet, nos associés deviennent des DAF à temps partagé et non plus simplement des vérificateurs, comme c’était le cas auparavant, puisque des outils performants s’en occupent pour nous. Il s’agit d’une évolution majeure de notre métier, qui connaît une réorientation vers de nouvelles activités, plus enrichissantes.
Il y a une deuxième étape qui n’est pas encore franchie, c’est celle d’aller chercher la data disponible. Je pense notamment aux entreprises en développement que l’on accompagne ou celle que l’on aide à repenser leur modèle économique. Dans ces deux cas, la data est très utile, mais ce n’est plus de la data comptable que l’on va chercher, c’est de la data disponible sur le marché. On va alors enrichir la data financière avec de la data extérieure. C’est pourquoi, on doit apprendre, grâce à des outils de machine learning et à des algorithmes, à aller chercher et à capter ces informations. Cette méthode fonctionne très bien pour les grandes entreprises et on peut la répliquer aux TPE-PME. Je vais donner l’exemple d’une boutique qui souhaite s’implanter dans une rue, on va solliciter un outil qui va nous proposer l’emplacement le plus intéressant en fonction de l’activité de l’entreprise. Chez Jégard Créatis, on a déjà commencé à l’utiliser pour nos clients et ils en sont très satisfaits.”
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Comment parviens-tu à créer une culture de la data dans ton cabinet ?
“Notre démarche c’est d’ancrer au cœur de nos équipes une culture profonde de la donnée et des outils que nous utilisons pour traiter ces flux. Nous sommes passés du modèle traditionnel de comptabilité, qui requérait des traitements manuels, à une approche bien plus efficiente où les données nous parviennent en temps réel, permettant ainsi de maintenir une comptabilité en direct. Cette compréhension de la valeur de la donnée s’installe naturellement, chez nos collaborateurs et chez nos clients, qui doivent eux, nous fournir en temps voulu les informations nécessaires (comme les factures, les notes de frais, etc.), pour que nous puissions leur offrir des analyses précises. Et donc une fois que les collaborateurs et que les clients ont compris ce que l’on pouvait faire avec la data, on peut la mettre en production à l’aide d’outil comme Power BI.
Et là encore, sur Power BI, ce qui est important, c’est ce que l’on peut y faire et la réflexion que l’on veut y apporter. C’est là-dessus que l’on va former nos équipes. La construction des bases, des liens, des API pour aller chercher l’information est plutôt dédié à nos spécialistes qui ont un niveau beaucoup plus avancé sur l’outil. Ça signifie qu’on ne va pas former tous les collaborateurs à faire des tableaux dynamiques. Ceux qui sont à l’aise avec le digital seront dans l’équipe conception, et une autre partie de l’équipe va être dédiée à son utilisation au quotidien.
Au-delà d’offrir de nouveaux services à nos clients et d’améliorer notre productivité, ces outils sont aussi une manière de fidéliser nos talents. C’est assez passionnant de passer de comptable fournisseur à data analyste. Cette étape, nous devons tous franchir au sein de nos cabinets si nous souhaitons maintenir nos performances et répondre aux attentes de nos clients de manière optimale.”
Avec l’arrivée de la facture électronique, comment vois-tu le futur de la profession sur la partie tenue comptable ?
“Dans un premier temps, nous observons comment les Plateformes de Dématérialisation Partenaires (PDP) et le Portail Public de Facturation (PPF) vont se mettre en place. Les services qui en découleront, le nombre d’acteurs impliqués, leur concentration, tout cela reste encore à définir. Nous regardons donc ce sujet avec attention.
Ensuite, je pense que la réforme de la facture électronique ouvrira de nouvelles missions pour les experts-comptables, notamment sur l’accompagnement des dirigeants à l’utilisation de ces plateformes et à créer des factures au format électronique. Donc je ne partage pas l’inquiétude que certains peuvent avoir quant à l’avenir de notre profession. Nous sommes davantage en train d’assister à une transformation de notre métier qu’à sa disparition.
En revanche, cela soulève un enjeu réel qui est d’améliorer la rentabilité des cabinets. Soit nous nous engageons dans la mise en place de flux automatisés, où la rentabilité est générée par la volumétrie des dossiers, et dans ce cas, les clients doivent adhérer à un modèle standardisé. Soit nous optons pour des solutions sur-mesure, ce qui engendre des coûts additionnels pour les clients. Il est primordial de bien communiquer cette réalité à nos équipes et à nos clients.”
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Merci beaucoup François d’avoir répondu à toutes ces questions, cet échange nous a offert un aperçu fascinant sur la manière dont la data réinvente la profession comptable. Loin de rester figée dans ses méthodes traditionnelles, la comptabilité comme bien d’autres domaines a su tirer parti du digital. L’automatisation des flux de données et la mise en place de tableaux de bord dynamiques illustrent la transformation actuelle du paysage comptable, marquant une transition vers une comptabilité en temps réel. La perspective de la facture électronique apporte un nouveau chapitre à cette évolution, dont nous en évoquerons les contours à l’occasion d’un prochain article.